La seule évocation de ce nom ne peut laisser indifférent, si l’on s’est un tant soit peu intéressé à la poésie, à la langue et plus largement à la culture corse de ces cinquante dernières années. Même si un article ne suffira jamais à retracer le parcours fécond en créations diverses de cet homme engagé, à la plume et l’esprit hors-norme, nous tacherons ici de rendre hommage à ce poète auquel nous devons tant.
« Ci sì tù o Mà… »
Ghjuvan’Teramu vit le jour le 25 février 1940 à L’Oretu di Casinca, au cours de la seconde guerre mondiale où son père fut mobilisé. Il perdit sa mère alors qu’il n’avait que six ans, une mère qui sera toujours présente dans son œuvre et dont il composa de poignants poèmes en souvenir des précieux moments passés auprès d’elle. Il égraina son enfance au village, entouré de l’amour et l’affection de sa famille, et termina ses études à Bastia.
« Tuttu ciò chì ti manca u ti dò… »
En 1959, tout juste majeur et ne désirant pas prendre part à la guerre, il se rendit en Algérie pour y faire ses premières armes d’enseignant. Il y passa une douzaine d’années, y rencontra son épouse, et trois enfants naquirent de cette union.
« Lingua di tantu rigiru… »
Début des années 70, affecté sur le continent, il se rendit fréquemment à la capitale retrouver les fondateurs de la légendaire revue, Rigiru, au café Montparnasse. Ses collaborations à la revue furent les prémices de son travail avec la poésie pour enfants, qui pour la toute première fois s’affichait aux cotés de celles des adultes. Galvanisé ainsi par le renouveau culturel qui prenait vie en Corse, il ressentit le besoin viscéral de revenir sur son île natale et ainsi porter son humble pierre à l’édifice commun.
« A leva di u settanta… »
Été 1973, création à l’Oretu de Scola Aperta ou il expérimenta les premières méthodes d’enseignement du corse auprès des plus jeunes ; méthodes absolument novatrices pour l’époque mais qui demeurent toujours d’actualité. En 1975, au cœur de tout ce bouillonnement artistique et culturel, l’inspecteur d’académie lui demanda de faire une enquête sur la situation de la langue corse, il devint ensuite animateur et conseiller pédagogique, jusqu’à sa retraite en 1995 ou il continua tout de même à être présent à l’école de son village ainsi que pour tous ceux qui désiraient un conseil avisé en terme de pédagogie et d’apprentissage.
« Sò un alivu di giritondu… »
L’univers de l’enfance fut son domaine de prédilection et à une époque où tout était à faire, il comprit très tôt l’importance de combler ce manque abyssal de matière pédagogique. C’est ainsi qu’il fut le pionnier des comptines et des poèmes qui devinrent aussi des chansons sur des projets comme Aiò et Campemuci ou plus tard Brame Zitelline. Homme de terrain et d’action, militant infatigable de la culture et ardent défenseur de la langue, il avait à cœur le soucis de partager son savoir de la façon la plus ludique et précise qu’il soit. Précurseur de l’immersion linguistique, il fut un guide pour de nombreuses générations d’instituteurs, auquel il donna les clés et les outils pour enseigner dans les meilleures conditions possibles, une langue destinée à sombrer dans l’oubli.
« À rombu di cantà…»
Pétri d’humilité, il n’osait pas l’affirmer, mais il était unanimement apprécié comme étant un auteur et compositeur de talent à la finesse exacerbée et au naturel saisissant. Il collabora avec de très nombreux groupes et artistes insulaires, avec qui il marqua de sa sensibilité sans égal le panorama musical de ses dernières décennies. Toutes ses œuvres empruntes d’une profonde sincérité, où la justesse de chaque mot choisi et finement ciselé donne une profondeur et une authenticité sans pareil, faisant sa force et un vecteur de messages intelligibles de tous. Chacun de ses textes possède une musicalité propre et même si la plupart de ses créations sont composées dans une forme dite classique, il a su apporter de la modernité au cœur de la tradition, et appréciait aussi être présent en studio auprès des artistes pour assister à l’évolution de l’œuvre, apprendre des autres et apporter sa vision personnelle lors du processus créatif.
« À voline più… »
Nous ne pouvons pas citer l’intégralité de son répertoire, tant il est riche et varié au niveau des thématiques et des inspirations diverses qui furent quasiment toutes traitées avec maîtrise. Il parla du temps qui passe, de son île, de l’exil, du retour aux sources, de l’amour sous toutes ses facettes, des révoltes sous toutes leurs formes, de la nature et son interaction avec l’homme, de l’harmonie des éléments, de l’ouverture vers le monde, vers son prochain, de la fraternité entre les peuples. Nous pourrions juste évoquer une poignée non exhaustive de ses standards, qui franchissent le temps et nous reviennent immédiatement en tête à la seule évocation de leur titre, pour comprendre l’importance de son œuvre et sa popularité : i mufrini , quand’è tù balli, à voline più, scelta para, a paghjella di l’impiccati, manganiolu, tantu manchi, vincer per un more, o cari, simu sbanditi, o Ghjacumusà, Golu, à rombu di cantà, ci si tù, ditemi, dammi tù, et tant d’autres encore.
« Tù sapesse tù quant’è tù manchi… »
Ghjuvan’Teramu Rocchi nous quitta le 03 mars 2018 à l’âge de 78 ans, mais son œuvre éternelle continuera de vibrer et d’enchanter toutes les générations d’un peuple conscient de l’immense héritage qu’il érigea, pierre après pierre, avec rigueur constance et passion ainsi que ce soucis de transmission qui ne le quitta jamais. Au-delà du temps son âme demeure intacte dans chacun de ses vers, eppò si sà chì u pueta… ùn mori mai.
« Semu stati sculari di un stessu maestru, ch’insignò u rispettu di un stintu priziosu, di leva in purleva seriu quant’è ghjucosu mantinimu in vita ciò chì fù u so estru. Incù iddu si ni và appena di ciò ch’eramu, ch’idda li sìa lebbia a tarra di Casinca, chì firmarà pà sempri l’opara di prima trinca è u tisoru smensu chì ci lasciò Ghjuvan’Teramu. »