Da u sangue di a Medusa à a nascita di u curallu
Les Anciens reliaient le mythe Méduse, la créature au regard pétrifiant, à une des merveilles de la nature : le corail. Dans la mythologie grecque, la légende raconte que le héros Persée se voit confier la mission de tuer la gorgone qui terrifie l’île de Séphiros, en mer Egée. Alors qu’il errait dans les cieux avec la tête décapitée du monstre, Persée trouve la belle Andromède en Éthiopie, enchaînée à un rocher émergé des flots pour avoir osé défier sa mère Cassiopée, attendant son triste sort qu’un monstre marin ne la dévore. Le héros se hâte sur la bête pour lui infliger un coup mortel au flanc avant d’épouser la princesse. Victorieux, Persée lave ses mains tandis qu’il avait déposé sur un lit de feuillages et d’algues la tête tranchée de Méduse, dont le sang s’écoulait toujours près du rocher. Le liquide s’était répandu dans la mer à l’aide du vent et donnait aux pousses molles le pouvoir de durcir. Face à un tel prodige, les Nymphes marines l’ont répété sur d’autres plantes et en jetaient les graines : le corail est né.
Ce récit est similaire aux versions du poète Ovide dans ses Métamorphoses et dans le Lapidaire orphique. La nature du corail a très certainement questionné les Anciens. D’abord considéré comme une pierre arborescente, les écrits montrent différentes interprétations : Pline explique ce durcissement de la plante au contact de l’air (Histoire naturelle, 32) tandis que Théophraste parlait d’une plante marine qui se pétrifie (Les pierres, 38). Pour les Grecs, le corail rouge était alors un « lithodendron », c’est-à-dire un arbre de pierre. Quoi qu’il en soit, son origine vivante a rarement été mise en cause car les pêcheurs et les naturalistes savaient que le corail a la capacité de grandir.
Un esseru vivu cumplessu
Au Moyen Âge, les botanistes d’occident continuent d’assimiler le corail aux lithophytes, littéralement des plantes-roches. Minéral, végétal, animal… Le débat se poursuit jusqu’à la fin du XVIe siècle. En 1711, l’ancien militaire Luigi Ferdinando Marsigli publie ses Observations naturelles autour de la mer après un séjour à Montpellier, près des côtes méditerranéennes. Il y révèle une découverte surprenante : le corail, alors identifié comme minéral, peut fleurir ! Des fleurs blanches à huit pétales se déploient lorsqu’on plonge les rameaux de coraux dans des récipients d’eau de mer. Son ancienne théorie selon laquelle le corail serait des stalactites sous formes pierreuses évolue pour émettre le postulat suivant : le corail est un végétal. Ses travaux vont donner lieu à la « Controverse de Marseille », un débat scientifique. Un de ses élèves et médecin marseillais Jean-André Peyssonnel le contredit durant la décennie suivante. Pour lui, le corail est un animal car l’odeur qui se dégage de la fleur rouge est celle d’un poisson pourri. Comme Aristote finalement, Peyssonnel le rapproche des coralliaires, qui comprennent les coraux et les anémones de mer et qui sont regroupés dans la catégorie surnommée les « orties de mer ».
L’abbé Bignon de l’Académie royale des sciences de Paris, soutien de Marsigli, n’approuve pas les études de Peyssonnel. Ce n’est qu’en 1742 que le botaniste français Bernard de Jussieu et l’ensemble de la communauté scientifique reconnaissent ses observations : « Ainsi les plantes marines, que d’abord on avait mises au rang des minéraux, ont ensuite passé dans la classe des végétaux, et sont enfin demeurées pour toujours dans celle des animaux » déclare le comte de Buffon. D’autres scientifiques essaient de catégoriser plus spécifiquement ces animaux, comme le suédois Carl Von Linné, qui place les coraux dans l’ordre des Zoophyta ou « plantes-animaux ».
Aujourd’hui, dans le règne animal, le corallium rubrum est classé parmi les Cnidaires et sont des colonies de polypes qui se regroupent pour former des superorganismes . Chaque polype sécrète son propre exosquelette calcaire et forme ainsi un squelette colonial. Au même titre que les méduses, gorgones et anémones, les coraux sont caractérisés par la présence de cellules urticantes, leur permettant de paralyser leur proie et se défendre. Comme en témoignent les fossiles, les coraux ont colonisé les mers il y a plusieurs centaines de millions d’années, y constituant l’un des puits de carbone les plus importants.
Ce que nous croyons estre la fleur de corail n’est au vray qu’un insecte semblable à une petite ortye qui s’épanouit dans l’eau et se referme à l’air
Peyssonnel, 1726
Un animale miticu, un ugettu simbolicu
Très répandu dans tout le bassin méditerranéen, ce type de bijou est considéré comme une excellente amulette. Dès le Néolithique, des restes de corail ont été retrouvés dans des tombes.
En Corse, l’intérêt esthétique du corail, par sa couleur rouge et son hermécité, a créé un certain nombre de croyances. Son origine quasi-divine si on en croit la mythologie, a conféré au corail rouge des vertus protectrices et des qualités magico-religieuses. Le corail aurait la faculté de repousser les malédictions, comme le
« mauvais œil » qui atteint les personnes les plus félicitées ou les plus fragiles : de jeunes époux ou des enfants par exemple. Il est coutume d’offrir une main de corail, une branche ou une corne aux nouveaux nés avant même de les baptiser.
Bien que peu catholique, le corail est souvent porté au côté de la vierge, d’un saint ou d’une croix. Au musée Fesch, la Maesta de Cosme Tura représente l’enfant Jésus paré d’un collier de corail, symbole de Rédemption qui se manifeste dans l’Eucharistie.
Una pesca « affrebbata »
À Ajaccio, cité du Corail, l’exploitation du corail se développe peu à peu sous l’impulsion des Napolitains. L’apogée parvient au XVIIIe siècle, lorsque les trois-quarts de la population vivent de cette activité, soit 1 000 corailleurs pour une ville d’à peine plus de 4 000 habitants. Le paysage urbain change également à cette période, les riches corailleurs construisent une maison à plusieurs étages connue sous le nom de « e Gallerie » et reconnaissable par ses façades en arcades qui dessinent la rue Fesch.
Au retour de la pêche qui durait des mois, les corailleurs passaient par la case Lazaret dès 1847, situé au pied du quartier d’Aspretto, dans laquelle ils étaient en quarantaine. Les conditions de vie très difficiles et le manque d’hygiène les rendaient vulnérables à des maladies infectieuses comme le choléra, la fièvre jaune ou la peste. Cette période de désinfection avait d’abord lieu à Marseille, puis aux Sanguinaires de 1807 à 1835.
On suppose que les premières récoltes volontaires de corail ont été faites en plongée libre, dans des zones peu profondes. Des filets accrochés à un poids amarré à un bout manipulé d’une embarcation appelés radasses sont cependant déjà utilisés dans l’Antiquité pour arracher des colonies. Cette méthode de masse a été modernisée par la croix de Saint André, qui sont deux poutres fixées en croix d’une hauteur pouvant atteindre les cinq mètres d’envergure. L’équipage était nombreux pour parvenir à manœuvrer la barque « coralline ». Aujourd’hui, cette technique est interdite en France, comme la pêche au chalutier.
Le corail, c’est une fièvre
Marien POGGI, doyen des pêcheurs de corail en Corse
Véritable manne de la Méditerranée, la ruée vers l’or rouge a changé radicalement dans les années 1950 avec le développement de la plongée autonome. Armée d’une martoline, les corailleurs plongent seuls à l’air et en utilisant des mélanges gazeux de 75 mètres à 120 mètres de profondeur pour extraire le corail à sa racine. Une plongée typique de corailleur profond est précédée d’un balisage du site corallifère, facilité aujourd’hui par les sondeurs et de GPS. La caméra téléguidée ou ROV permet aussi de vérifier la présence de corail avant de plonger. Le travail au fond une vingtaine de minutes et la remontée très lente, jalonnée de paliers durant près de trois heures en respirant l’air et de l’oxygène dans un narguilé envoyé par le marin à la surface. L’équipage est beaucoup plus réduit. Ainsi, il s’agit d’une profession à hauts risques, notamment car ce mode de pêche est plus minutieux, chirurgical et plus respectueux de l’écosystème marin.
Le corail est destiné en grande partie à la joaillerie. Un kilogramme de corail peut rapporter entre 1 000 et 3 500 euros. La pêche peut être très fructueuse (jusqu’à 15 kg) ou décevante (200 à 300 g).
Da l’attellu à a vetrina
Le corail est utilisé en joaillerie, bijouterie et décoration. Même si ce trésor est présent sur une grande partie des côtes de l’île, le corail pêché n’est pas principalement transformé en Corse. Près de 90% de ces récoltes sont envoyées à Torre Del Greco, en banlieue de Naples, ville d’Italie très réputée pour sa production d’objets en corail. Pourtant, Napoléon 1er a cherché à développer le savoir-faire lors de son consulat. Il publie en effet un arrêté dans l’objectif de créer une manufacture permettant de tailler la matière sur place, à Ajaccio. La tentative était louable mais vaine, la concurrence italienne étant trop forte. Jusqu’en dans les années 1980, le corail corse était si demandé par les Napolitains qu’il était très difficile pour les petits tailleurs insulaires de s’en procurer. La plupart du corail était alors importée d’Espagne, avant d’être travaillée sur place. Par ailleurs, le premier atelier de taille qui transforme le corail se situe à Porto-Vecchio : la Taillerie du Corail.
Le corail rouge est taillé en cabochons ou en perle, ou sculpté par des mains hautement qualifiées en motifs plus complexes, notamment en camées. La perte est pléthore : en général, seulement 40% du corail brut est travaillé. Pour les pièces plus spécifiques, on peut perdre jusqu’à 80% du corail… Son prix est déterminé par son état et sa couleur, bien que celle-ci ne soit pas gage de qualité. Un bon corail ne doit être ni fissuré ou fêlé, ni poreux. Deux autres critères sont aussi pris en compte, la grosseur du corail et celle obtenue, ainsi que le temps de la production.
Prenez garde aux contrefaçons sur le marché ! Des critères vous permettront de savoir s’il s’agit d’un corail véritable. Tout d’abord, il n’existe pas de bijou en corail de Méditerranée à bas prix. Les bijoux en bamboo, pâte de corail aussi appelée « corail reconstitué » ou encore la mousse et racine de corail ont des valeurs marchandes dérisoires. La couleur est aussi une autre indication à analyser : pas de points ou tâches de couleur noire, de motif zébré. En dernier lieu, la provenance géographique peut remettre en cause la véracité du corail.
Un grande avvene… à chì prezzu ?
Le corail rouge de Corse a de beaux jours devant lui… Mais il n’en demeure pas que le corail reste une ressource vivante, donc renouvelable, à croissance lente. Il faut environ vingt ans pour qu’un corail arrive à maturité, environ 1 à 3 centimètres de haut. Les jeunes pousses de quelques millimètres ne doivent pas être récoltées et n’ont aucune valeur marchande.
De plus, les corailleurs de Corse regroupés en une association ont imposé des restrictions, avec l’Administration régionale des affaires maritimes. Certains sites les plus fréquentés et exploités, en profondeur notamment, sont sanctuarisés. Seuls les pêcheurs et les marins spécialisés sont habilités à récolter le corail. Néanmoins, l’effectif se réduit parce que de plus en plus de pêcheurs partent à la retraite. Les conditions difficiles de ce métier n’attirent qu’un faible nombre d’individus qui souhaitent se spécialiser dans la pêche au corail.
Ainsi, le corail fait partie du patrimoine insulaire qu’il convient à la fois de protéger et de valoriser.
U curallu rossu di u mediterraniu affascineghja da a so natura, u so culore, e so forme. Sugettu à lighjende è cridenze, i giuelli di curallu anu in Corsica u putere simbolicu di scungiurà a malasorte. Da millenarii, a storia di u curallu hà lacatu a so stampa ind’è u mediterraniu. Prufessione maravigliosa è periculosa, i curallaghji ciottanu à decine di metri sottu mare da estrae sta manna tantu ricercata à l’ecusistema dilicatu. Trasfurmatu in Napoli, unipochi di tagliatori isulani cercanu à rivalurizà un sapè fà anticu da perpetuà a tradizione. Quistu « oru rossu » nanzu minaciatu, po prutettu, cuntinueghja à esse l’ugettu u più purtatu è espostu in Corsica.