En raison de sa diversité dans l’espace et le temps, le mégalithisme demeure une source intarissable de théories et d’interrogations. Durant l’âge du Bronze,
sur le site de Filitosa, on immortalise de puissants guerriers dans la pierre. Aujourd’hui, les contributions de l’archéologie insulaire apportent un éclairage nouveau sur le phénomène.
Entre le Ve et le IIe millénaire avant notre ère, les sociétés anciennes ont constellé l’île de pierres dressées. Petri lati, Stantari, Palatini sont distribuées sur des sites et s’articulent autour de deux foyers principaux : depuis le nord, autour de la région Nebbiu-Agriate jusqu’au sud-ouest dans une vaste zone regroupant le Sartenais et le Taravu. On compte plus de 804 monuments identifiés. Les pierres dressées sont omniprésentes et composent une partie du riche corpus du mégalithisme de la Corse. La tradition orale a longtemps rattaché ces pierres aux forces occultes. Dans le sud, on les perçoit comme maléfiques à l’image d’A Stazzona di u Diavulu (forge du Diable). Les menhirs ou statues-menhirs s’interprètent comme des idoles des maures et les Stantari, s’assimilent à des personnages pétrifiés accusés d’avoir transgressé le cadre moral. Les statues-menhirs « bienfaisantes » semblaient être associées à la fertilité et garantir l’abondance des troupeaux… Quant aux statues armées, elles personnifient l’idéal chevaleresque du temps des seigneurs.
Pourtant, sur le temps long de la Préhistoire, les mégalithes témoignent de l’apparition progressive d’une forme de hiérarchisation sociale, avant même la naissance des États. Depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, les contributions scientifiques abondent sur le sujet renouvelant l’approche du phénomène à l’échelle insulaire. Analysées depuis leur contexte, en fonction de leur intégration dans le paysage et l’effet visuel qu’elles engendrent, elles modélisent la vision d’une architecture monumentale.
Plusieurs sites témoignent de la richesse culturelle de cette période. Le site de Filitosa compte parmi les hauts lieux de la Préhistoire insulaire et constitue chaque année une étape incontournable de l’itinéraire patrimonial. Ce site, classé aux monuments historiques depuis 1980, est découvert par Charles-Antoine Cesari en 1946. Les campagnes de fouilles, menées depuis les années 1950 jusqu’aux années 1970 par l’archéologue Roger Grosjean, ont révélé une occupation depuis le Néolithique ancien (5500 av. J.-C) jusqu’à la période romaine.
Filitosa: abitazione è funzione
À partir de 1956, des fouilles entreprises sur la butte du Turrichju révèlent un habitat fortifié par une enceinte cyclopéenne, appelé un casteddu et caractéristique de l’âge du Bronze corse. Ce casteddu comprend trois monuments semi-circulaires dont deux torre et des maisons. Il a été implanté sur un éperon de granite naturellement fortifié et ceinturé par plusieurs cours d’eau se rejoignant dans la vallée. Le territoire fournissait les éléments propices à toute l’économie du quotidien des populations. Aujourd’hui, les travaux menés par Kewin Peche-Quilichini en précisent les traits chronologiques et culturels. Les éléments mis au jour autorisent moins de spéculation quant à la nature de l’occupation du site. Entre 1700 et 1200 av. J.-C., on suppose que Filitosa était le principal village de la basse vallée du Taravu avec plus d’une centaine d’occupants au sein de l’enceinte fortifiée. Parmi ces éléments, plusieurs habitations dont la superficie moyenne était de 35 m2, ont à elles seules livré du mobilier illustrant le quotidien des habitants du site et de sa vallée. Le site comportait plusieurs espaces fonctionnels en corrélation directe avec les activités agro-pastorales menées autour d’une vaste zone (Barcajolu). Regroupés en fermes autour du casteddu, une partie des membres de la communauté cultivait céréales et légumineuses telles que le blé et l’orge, ou encore torréfiaient les glands de chênes afin de les consommer. Les torre, greniers fortifiés, semblaient constituer des espaces de stockage destinés à préserver la production de l’exploitation. En 1200 av. J.-C., après d’importants développements, la société torréenne décline et, comme bon nombre d’autres villages fortifiés du sud de la Corse, le site est abandonné.
Filitosa è e so stantare
Dans le dernier tiers du IIe millénaire avant notre ère sont dressées les premières statues-menhirs. La Corse en compte plus d’une centaine dont 20 % d’entre elles se concentrent sur le site de Filitosa. Au total, une vingtaine de statues- menhirs ont été retrouvées à Filitosa. Que nous apprennent- elles sur l’art de se représenter durant la Protohistoire corse ? Les mégalithes semblent avoir été pensés pour le regard des hommes de leurs temps. Sculptées dans du granite, avec l’aide d’outils en pierres dures, les statues-menhirs représentent des hommes armés, bien protégés. À Filitosa, en 1300 av. J.-C., les élites guerrières de la communauté s’immortalisent dans la pierre. Aujourd’hui, nous savons que ces statues-menhirs sont des hommes qui incarnent le pouvoir martial. On peut supposer que durant une période de forte tension sociale, où des raids peuvent êtres menés entre casteddi, ces chefs de guerre, capables de mobiliser une force militaire, sont à même de défendre le casteddu et ses habitants. Par le choix de symboles, telle que l’épée, les statues menhirs incarnent une masculinité en arme, une figuration réelle ou fantasmée de l’ordre dans le chaos, dans la continuité de la propagande figurative orientale pratiquée au temps des Ramsès. D’ailleurs, les fouilles de Filitosa ont livré des objets en provenance d’Égypte et de Mésopotamie qui confirment les relations entretenues avec la partie orientale de la Méditerranée.
Traduzzione in lingua corsa
8000 anni di storia è di misteru…Museu à celu apertu, Filitosa veghja nantu à e so stantare, e so torre è altre vistiche. Stu situ plurimilleniu custudisce e traccie d’un’uccupazione chì si stende da u VIestu milleniu nanz’à Cristu sin’à u periudu rumanu. À l’età di u bronzu, in un embiu di forte tinsione suciale, sculpiture migalitichi immurtalizeghjanu l’elite e più impurtante di a so cumunità, per chì a so putenza pulitica franchessi i tempi. Classificata munumentu storicu, Filitosa hè oghje ghjornu cunsidirata cume l’unu di i percorsi archiulogichi i più diviziosi di Corsica.