Quand on pénètre dans l’ancienne piève d’Orezza, on est frappé par la vue des vestiges d’un monument qui erre comme un fantôme dans la verdoyante châtaigneraie.
Le toit est détruit, les murs défient le temps, à l’intérieur de magnifiques fresques témoignent d’un riche passé, on en reconnaît une en particulier qui signe la présence des moines Franciscains.
Le couvent fut fondé en 1485 par des observantins, et passa plus tard aux mains des franciscains qui y édifièrent une église (de 33 mètres sur 11) dotée de six chapelles probablement au XVIIe siècle.
Il eut d’abord un rôle majeur auprès des populations en participant notamment à l’éducation, jouant un peu le rôle aujourd’hui attribué à l’école primaire.
Lors des révolutions de Corse il fut l’un des lieux où se tenaient les « Cunsulte », ces assemblées fondatrices des constitutions qui permettront à la Corse de se doter d’un État.
Ainsi les 6, 7 et 8 janvier 1735, la consulte d’Orezza élut Don Louis Giafferi, Hyacinthe Paoli et André Ceccaldi comme Généraux de la Nation et vota le texte de la première Constitution. (énoncé à Corte le 30 janvier).
Elle plaça le peuple corse sous la protection de la Vierge et décida que la fête de l’Immaculée Conception serait célébrée dans toute la Corse.
Celle de juin 1751, élut Jean-Pierre Gaffori comme Général de la Nation.
Du 9 au 27 septembre 1790, une consulte mit en place la nouvelle administration départementale, donna tous les pouvoirs à Pasquale Paoli.
Ce retour au pouvoir marque la 2ème gouvernance de ce dernier bien après Ponte Novu, la fin de l’indépendance et son exil en Angleterre.
Mais l’Histoire avec un grand H qui rend exceptionnel ce lieu est la tenue du Congrès dit « des théologiens » dans cette Corse du XVIIIe siècle où la foi religieuse a une importance fondamentale, car le peuple est très croyant.
Or depuis l’épître de Paul aux Romains il est interdit aux Chrétiens de se révolter contre les rois et les princes.
Les monarchies sont fondées sur le droit divin, s’ils sont rois, c’est par la volonté de Dieu.
Pour mener la révolte contre Gênes, le peuple avait l’impératif besoin de la bénédiction de l’église. D’où la démarche du chanoine Orticoni d’en débattre avec les autorités religieuses.
Le Congrès des théologiens se tint du 4 au 9 mars 1731, dans le couvent d’Orezza.
Vingt religieux se réunirent pour discuter des événements sous l’étroite surveillance du chanoine Erasmo Orticoni : la question étant peut-on recourir à la violence ?
La réponse fut Oui, mais seulement si la République « s’obstine à rejeter les requêtes, [alors] il faut soutenir la guerre et, à plus forte raison, si elle vient par la force ouverte. .à opprimer les peuples ». L’insurrection est donc une négociation.
À Orezza, s’est joué le basculement de cette « négociation » en une « guerre juste » légitimée par les Écritures saintes, et plus particulièrement par celle de saint Thomas d’Aquin.
Cet événement claqua comme un tonnerre dans l’Europe des monarchies et peut être considéré comme le précurseur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
À partir de 1832, le couvent commença à perdre de sa superbe, date à laquelle l’État français engagea un processus de vente à des particuliers.
Le couvent abrita la gendarmerie jusqu’en 1934 (effondrement de la toiture). Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Italiens y installèrent un dépôt de vivres et de munitions, puis il fut bombardé et quasiment détruit par les Allemands en 1943. Il fut depuis lors laissé à l’abandon et est aujourd’hui en piteux état.
La nécessité de sauvegarder un patrimoine aussi chargé d’histoire est unanimement partagée, reste à délimiter les contours, sa faisabilité, sa réalisation.
Mais soyons-en convaincus, dans un temps très proche, ce lieu majeur de l’histoire de la Corse sera sauvé.
Remerciements à Erick Miceli pour les précisions apportées.
Traduzzione in lingua corsa
U cungressu di i teuloghi si tene da u 4 à u 9 di marzu 1731 in u cunventu d’Orezza. Vinti religiosi discuteghjanu di l’evenimenti sottu à a surveglianza di u canonicu Erasmo Orticoni, per sapè sè u populu si pò difende fendu usu di a viulenza. A risposta hè : iè, sè a Ripublica di Genuva cuntinueghja à ricusà e dumande, tandu, ci vole à sustene a guerra, sopprattuttu sè a forza ne vene à l’oppressione di i populi. In Orezza a neguziazione diventa una guerra ghjusta, leghjitimata da e Sante Scritture in particulare quelle di San Tumasgiu d‘Aquinu.