L’incantesimu, l’incantation pour caccià l’Ochju, chasser le Mauvais Œil se transmet généralement à la Noël. La période de Noël marque la fin d’un cycle. Les jours cessent de raccourcir, le soleil va regagner des forces. Des feux sont allumés devant les églises et chacun amenait sa bûche pour alimenter le feu commun. Voici votre point de départ d’un reportage chargé de symboles qui vous mènera sur les chemins d’un rituel qui permet de chasser un mal bien connu : l’Ochju.
Pruteghjasi di cosa ?
Vous avez des maux de tête, des nausées, de la fièvre, vous êtes fatigué, vous vous sentez mal, rien ne va, vous êtes plus malchanceux que d’habitude et les médicaments, les arrêts de travail et les vacances en Amérique du Sud ne vous guérissent pas… Vous avez surement l’Ochju. Quelqu’un vous a envié, jalousé et l’a attiré sur vous… Les enfants étant souvent la cible de compliments et enviés, l’Ochju aura tendance à les toucher particulièrement.
A notti da u 24 è u 25
L’aventure commence le 24 décembre. C’est durant cette nuit que la majorité des prières sont transmises, car cette date est le symbole de la renaissance. Bien avant que l’Eglise chrétienne ne choisisse d’accorder la naissance de Jésus Christ avec le retour du soleil, durant la période du Solstice d’Hiver, une grande partie des différentes civilisations au monde fêtait le rallongement des jours, symbole d’une vie qui continue et qui renait.
C’est durant cette période-là, lors de la renaissance du Soleil, qu’il est plus facile de transmettre les prières permettant de chasser le Mal et de faire le Bien. En s’aidant du pouvoir du Soleil. Ce même Soleil qui se retrouvera dans de nombreuses prières.
La transmission se faisait alors autour du feu commun, ou à l’écart, au feu de la maison, pour utiliser le pouvoir du feu. Le feu qui porte en lui la symbolique de la destruction mais aussi de la purification.
L’Ochju : 1 notti, 1 settimana, ogni ghjornu
Le moment le plus commun pour apprendre les prières et les incantations est la nuit du 24 au 25 décembre. Mais en fonction des régions et des personnes, ce moment n’est pas toujours cette nuit-là. En effet, à Figari pour apprendre l’exorcisme, on dispose des sept derniers jours de l’année, et il convient en même temps de nourrir u cippu di Natali jusqu’au 1er janvier : si le feu s’éteint, le don ne sera pas transmis. À Cutuli, c’est le 24 Juin, jour de la Saint Jean-Baptiste que la transmission se fait.
Il est globalement admis que si l’on ne peut retenir la prière, il faut recommencer l’année suivante. Si durant ce temps l’enseignante vient à mourir, l’apprenante ne doit pas chercher à l’apprendre par une autre personne. Elle ne doit pas connaître le secret. Traditionnellement, les prières se transmettaient de la grand-mère à la petite fille.
Aujourd’hui nous sommes à un tournant du mode de transmission, de nombreuses transmissions ne se font plus un jour particulier, mais quand cela est possible. Et le lien familial n’est plus aussi prégnant.
Da a bocca à u numericu
L’idée commune a longtemps été que la transmission devait se faire oralement, à bocca, et non pas par écrit. Ce qui se comprend facilement car la Culture Corse était de transmission orale. La fixation par l’écrit est arrivée tard. Mais l’on voit qu’aujourd’hui, certaines personnes écrivent la prière sur un papier, le temps de l’apprendre, et le brûlent une fois la tâche accomplie.
Plus moderne, il y a des transmissions qui se font aussi par Snapchat ou par WhatsApp.
Cette transmission orale s’accompagne aussi d’une transmission gestuelle. Et par téléphone, c’est moins pratique. La gestuelle est accordée à la parole. Quand le signeur est chrétien, il commencera souvent sa prière par un signe de croix.
Nomi fiminili
Quand on vous parle de quelqu’un qui peut chasser l’Ochju, à qui pensez-vous ? Probablement à une femme. Et effectivement, la majorité des personnes signant l’Ochju sont des femmes. D’ailleurs les différents noms pour parler de ces guérisseurs sont souvent au féminin : « mammina » ou « incantatora » ou « signatora »
Mais les hommes aussi peuvent signer. Et quand vous pensez à quelqu’un qui peut guérir une brûlure, soulager la sciatique ou signer un animal ? Est-ce un homme ou une femme ? Cette fois-ci, c’est probablement un homme.
Nomi chì portani u Mali
Roccu Multedu avait recueilli les différentes manières de nommer ce mal : Acciaccatura dans l’Avretu, Mal d’Ochju dans le Capicorsu, u Cattivu Stintu à Zonza, Malfacitura à Marignana, Ochjacciu dans le Niolu ou encore Ghjustrata en Balagna. Sans oublier Innuchjatura que tout le monde comprend. Et tous ses noms portent le Mal en eux : celui qui écrase, le mauvais œil, le mauvais esprit, le malfaisant, celui qui poursuit…
Mais l’Ochju ne touche pas seulement les humains ! Il peut aussi toucher les animaux ou les lieux !
D’ailleurs, le fait de se savoir capable et prêt à apprendre à chasser l’Ochju est lui aussi souvent lié au Mal, on le sait suite un traumatisme initiatique : un proche, une mort, une maladie…
Cumu parà a Sorti ?
Pour se protéger et protéger les autres de l’Ochju, il y a deux types de protection : les objets et l’humain. La protection humaine la plus connue est celle des cornes. Quand quelqu’un complimente un enfant, vous avez forcément vu cette personne faire les cornes en rajoutant ensuite une formule pour accentuer la protection : « Qu’il est beau ! Je lui fais les cornes ! » ou bien « Comme il est beau ! Chì Diu u binidissi ! ». Cet appel à Dieu est une protection forte, on demande la protection de la force la plus puissance.
Parmi les objets, il y a bien entendu le corail, que l’on offre souvent aux enfants, l’œil de Sainte Lucie et le sel. Le corail est vu comme un protecteur puissant dans de nombreuses cultures méditerranéennes. La mer accroît le pouvoir des objets.
Viennent ensuite d’autres protections : le charbon de la Saint Jean, i crucetti, i brevi (amulettes), ou encore tout simplement, une branche d’arbousier, d’ailleurs utilisée pour signer les animaux. Avant que l’Eglise n’intervienne, les représentations de phallus étaient une protection très courante contre le mauvais sort en Méditerranée, car le phallus symbolise la vigueur. Bien entendu, de nombreuses autres protections existent…
Un rituali simbolicu
Selon les incantatori les rituels peuvent varier mais les grandes lignes restent les mêmes. L’incantatora utilise une assiette blanche, couleur de la pureté et du Bien. Elle y verse de l’eau et l’incantatora fait (ou pas) trois signes de croix sur les quatre points cardinaux de l’assiette, avec son auriculaire, en récitant, en vivant, la prière en elle-même. Elle verse quelques gouttes d’huile dans cette eau. Si les taches d’huile se dispersent, l’Ochju est là. L’incantatora récupère le Mal de l’annuchjatu et l’exprime de différentes façons : des douleurs, des pleurs, des gémissements… Si l’exorcisme échoue car l’Ochju est trop puissant, alors elle reproduira l’incantation jusqu’à trois fois d’abord, puis si le Mal est toujours là, elle continuera soit en reproduisant le rituel un nombre impair de fois, soit en le reproduisant en multiple de trois. Si l’Ochju est toujours là, alors ce sont trois incantatori qui agiront pour chasser le Mal. Le chiffre trois est très présent et symbolique : le Père, le Fils et le Saint-Esprit pour les chrétiens.
Certains signatori peuvent utiliser une bougie, avec sa flamme, mais aussi un objet appartenant à l’annuchjatu, souvent placé sous l’assiette. Si l’annuchjatu n’est pas présent lors de l’exorcisme, il sera exécuté avec une mèche de ses cheveux ou une photo de lui.
Gocciuli da ascultà
Durant le rituel, l’incantatora observe les gouttes et comprendra d’où vient l’Ochju. Les gouttes se regroupent en petits nombres, elles indiquent le nombre de personnes ayant lancé l’Ochju. Elles restent sous l’eau, alors il a lancé par un hypocrite. Une ligne est formée, cela est arrivé sur le chemin de la maison. Et si les gouttent éclatent… ce sont les morts qui vous ont annuchjatu, c’est una imbuscata, la plus dure. Vous pouvez l’attraper en passant le gué d’une rivière ou lorsqu’à la tombée de la nuit vous passez devant un cimetière ou une fontaine. C’est en effet là que se tiennent les esprits.
Un incantesimu
Si beaucoup donnent le nom de prière à l’exorcisme de l’Ochju, le mot plus juste est incantation, d’où le nom d’incantatora : les vers sont récités en attente d’un résultat immédiat. Dans ces formules magiques, deux courants se distinguent : les incantations païennes et les incantation chrétiennes.
Dans les deux cas, l’incantatora fait appel à une puissance supérieure, à une puissance qui transcende : le Feu, le Soleil, Dieu, la Vierge, ou les Saints, eux qui sont souvent munis d’instruments pour combattre le Mal.
L’adhésion du patient est nécessaire à sa guérison, sinon l’incantation ne pourra pas le pénétrer. L’incantation est physique, psychologie et symbolique. Le patient doit accepter d’être le support d’un cadre magique. Dans les incantations, il est important de prononcer le prénom, car le prénom est le nom intime de l’être, par opposition au nom de famille.
Dans tous les cas, les incantations doivent rester secrètes et ne pas être révélées à une personne n’apprenant pas à chasser l’Ochju.
Un donu umili senza cuntraparti
Si aujourd’hui n’importe quel praticien vous fera payer pour vous guérir, ce n’est pas le cas du signatoru. Les signatori traditionnels opèrent sans aucune arrière-pensée de gain matériel et, en fait, toute marque de gratitude les embarrasse.
Une signatora explique que si on lui donne quelque chose, elle a l’impression qu’on lui prend, qu’on lui vole son don. Elle refuse catégoriquement tout argent et quand une personne souhaite lui offrir ne serait-ce que des gâteaux, elle s’empresse de les donner à quelqu’un d’autre. Elle peut apprendre à celui qui veut mais pas échanger ou être rémunérée. Ce don, on lui a donné, elle ne sait pas d’où il vient, mais il est là pour faire le Bien, sans autre pensée.
Una pratica sempri viva chì cambia
L’Ochju est une croyance universelle qui remonte aux premiers âges de l’humanité. Sa guérison, d’abord païenne, a été récupérée en Corse par la religion chrétienne, même si certains religieux refusent encore l’incantesimu, qu’ils jugent non chrétien.
Si le rituel pour chasser l’Ochju n’est pas identique à tous les incantatori, les grandes lignes restent les mêmes. Une évolution nette se constate dans la transmission : les dates et périodes de transmission fluctuent de plus en plus ; d’une oralité exclusive on passe à une double possibilité, orale et écrite ; le feu commun n’est plus aussi prégnant qu’avant, la nuit de Noël n’est pas l’unique créneau d’apprentissage.
Loin d’être une simple survivance archaïque, cette guérison a su se transformer et intégrer des idées nouvelles. Ces changements, qui comme tout changement, font peur, sont pourtant le signe d’une tradition et d’une culture qui évoluent avec leur temps, et qui donc perdureront.
L’Ochju è l’Incantesimu ani francatu l’epichi è sò cridenzi sempri vivi. Cridenza pagana ripigliata da una parti di a Ghjesgia cristiana, l’Incantesimu chjama à i forzi suprani pà caccià l’Ochju da a parsona annuchjata. Quellu chì faci a lea trà l’annuchjatu è i forzi suprani hè pà u più una donna. T’hà un rolu d’intermedariu, è s’hà da piglià addossu i guaii di l’annuchjatu. Pà simplificà, si senti à spessu chì l’Incantesimu ùn pò essa tramandatu cà a notti da u 24 à u 25 di Dicembri è à bocca, ma, di fattu, hè trasmissu ancu fora di sta notti. È oghji, hè ancu trasmissu à u scrittu è incù i missaghjarii cum’è Whatsapp. Sta tramandera hà dunqua sapputu adattassi à i nostri tempi è ferma unu di i puntelli di a simbolica corsa.